LE MOT DU DIRECTEUR

« Trop de vérité nous étonne »* : Enclencher la confiance**, sans trop de naïveté, sera toujours moins risqué et stérile que déclencher le soupçon, sans discernement.

Peut-être ne serais-je jamais arrivé à faire réussir tant d’étudiants***, et aussi bien, si je n’avais pas échoué à leur place, il y a quarante-cinq ans !

Peut-être n’aurais-je pas, éducateur, mesuré tout de suite combien la peur peut seule provoquer ce dont elle s’est effrayée sans raison, si je n’avais pas connu, adolescent, cette peur qui engourdit l’esprit, annihile la volonté et faisait avouer à Bernanos : « Le démon de mon cœur s’appelle : À quoi bon ? ».

Peut-être n’enseigne-t-on correctement que ce qu’on n’a pas compris aisément ni su à temps... Comme parfois l’incroyant ou l’enfant prodigue peut mieux approcher que le fidèle ou un fils exemplaire ce mystère, insaisissable au dévot des algorithmes, et qui fait que d’un « semblable presque rien », tout petit rien, peut tantôt surgir un désastre humain, tantôt advenir un triomphe !

Que suffisait-il d’avoir compris de cet enfant, « parchemin étroitement rempli d’hiéroglyphes menus dont tu ne pourras déchiffrer qu’une partie » (Janusz Korczak), pour que ce « devenu cancre » ait pu tout aussi bien décider de briller ? Et quand donc, désespérant de lui, a-t-on commis l’irréparable : le désespérer aussi ?

Christophe CADET

*Blaise Pascal,
 Illustrations à méditer :
   1. « L’ouvrier heureux est plus productif » (Elton Mayo)
   2. « La joie d’apprendre est aussi indispensable aux études que la respiration aux coureurs » (Simone Weil)
   3. « On peut sombrer dans la réussite » (Julien Green)
   4. « It is not whether you win or lose, it is how you run the race » (?)

**Inspirer confiance à l’élève, lui faire confiance, lui donner confiance... pour qu’il s’élève, c’est sa vocation et c’est notre mission! 

***En trente années les équipes que j’ai réunies et animées ont fait intégrer pas loin d’un millier d’étudiants dans les trois parisiennes, dont environ trois cents à HEC ; plusieurs dizaines en un an seulement et quelques autres au cours d’une quatrième année salvatrice, annulant un triennat perdu ailleurs en mauvaise orientation, ou à se morfondre. Le record, jamais égalé, ni plus tard ni ailleurs, est détenu par cette promotion qui vit 43 des siens intégrer HEC et en plus 4 premières années rejoindre l’ESSEC ! Quant à moi, il n’y a pas d’étudiant (excepté ceux qui intégrèrent en une seule année !) que je n’aie rencontré, en tête à tête, au moins une demi-douzaine de fois pendant son cursus  : la maison où John apprend le mieux le latin est celle où le professeur sait le mieux le latin et où le directeur connaît bien John !